87, rue de l’Alma
La série intitulée « 87, rue de l’Alma » est une déambulation dans une maison de famille, avant la démolition programmée par la Ville de Rennes. Elle est d’abord un état du lieu au présent, qui déploie un inventaire des pièces de la maison et des objets abandonnés.
Peu à peu, les images glissent vers l’observation minutieuse des détails ordinaires qui convoquent le souvenir de manière diffuse, ceux auxquels on ne prête pas attention et qui contiennent pourtant toute une mémoire.
Les traces d’un passé révolu remplissent l’espace, l’absence résonne et dessine en creux le portrait de la grand-mère disparue.
Mars 2011 :
La série se constitue en trois heures, dans l’urgence de garder en images tout ce qui peut l’être, avant que les clés ne soient rendues à la Ville de Rennes. En sortant de la maison, je croise Alexandre Koutchevsky, un ami auteur et metteur en scène qui réside au n° 81 de la même rue. J’avais coupé une branche de mimosa en fleur pour lui, sans savoir que je le verrai. Il m’invite à boire un café, et je fais une photo de la branche fleurie sur la table de sa cuisine.
Octobre 2012 :
Je rencontre Mardi Noir, artiste rennais qui intervient in situ sur des façades de maisons murées.
Je lui parle de mon exposition à venir, il me dit qu’il observe l’évolution de la rue depuis plusieurs années, et m’envoie des photos qu’il a prises de la maison et des extraits de Google Street View. On y voit la maison à différentes étapes : entière, murée, partiellement démolie…
Il avait envisagé d’y faire un travail de collage sur les fenêtres murées, mais avait renoncé car la maison avait été démurée et occupée par l’association DAL pour y loger une famille.Novembre 2012 :
La veille du début de l’exposition à la MJC de Sceaux pour le Mois de la photo, j’apprends que la maison vient d’être entièrement démolie et je m’y rends pour faire une dernière image, puis j’écris à Alexandre. J’imprime cette photo sur mon imprimante pour l’expo dont l’accrochage a lieu le lendemain.
Lettre à Alexandre Koutchevsky, le 1er novembre 2012
« Je suis allée faire quelques images hier, au 87, il n’y a plus de maison mais le cerisier trône au milieu du jardin. Bizarre, un jardin… sans maison!
Je me demandais ce que ça ferait qu’il n’y ait plus rien, et j’ai été surprise: en fait, le volume autrefois occupé reste visible, comme un cube de verre transparent.
On ne voit plus que ça: ce qui était là. Et le sol qui apparaît, toute cette étendue de terre marron qui colle sous les pieds, renvoie finalement plus à l’origine qu’à une fin.
Sentiment d’apaisement.
Je suis allée jusqu’au fond du jardin, une nouvelle perspective donne à voir l’immeuble d’en face autrefois caché par la maison.
L’effet de réalité dont nous parlions l’autre jour est presque hallucinatoire…»
C.A.« Expulsés, leur maison détruite sous leurs yeux »
Je me souviens alors d’un article sur le site internet de Ouest-France: « Expulsés, leur maison détruite sous leurs yeux ». Je clique et découvre une vidéo tournée en juillet 2012, au moment de la démolition du toit de la maison en vue de l’expulsion d’une famille roumaine. Filmée dans la lumière du matin, une jeune fille déplore la démolition de la maison, sa famille à l’arrière plan, leurs affaires en vrac sur le trottoir… Je décide alors d’intégrer la vidéo au dispositif de l’exposition.
Dès le début de ce travail, je pressentais que la photo de la branche de mimosa avait sa place dans la série, même si elle avait été photographiée chez Alexandre et non dans la maison de ma grand-mère. Les échanges avec Mardi Noir et la découverte des images vidéo de la famille expulsée donnent à voir l’exposition « 87, rue de l’Alma » autrement. Ce n’est pas seulement une adresse, mais plutôt le carrefour de plusieurs trajectoires, humaines, artistiques et politiques.
Dispositif de l’exposition :
- Une série de 20 tirages argentiques sur dibond, formats 50 x 75 cm, 30 x 45 cm, 18 x 27 cm.
- La vidéo de Ouest-France projetée en grand format.
- L’échange de mails avec Mardi Noir où figurent ses photos de la maison.
- La photo du cerisier au centre du terrain, prise deux jours avant l’exposition, est également affichée. Impression « maison » jet d’encre sur papier canson, juste avant l’accrochage de l’exposition.
- La lettre adressée à Alexandre Koutchevsky, écrite après la découverte du terrain nu et son cerisier.