Taille 44
Autoportraits
De l’intime…
« Taille 44 », c’est ce qu’indique l’étiquette d’un maillot de bain des années 50, retrouvé dans une valise de vêtements ayant appartenu à ma grand-mère. Il est trop petit pour moi, marquant ainsi l’écart qui me sépare des mensurations de l’époque. Je réalise que je sais très peu de choses de la femme qu’elle était, que je ne connais presque rien de son histoire. Qu’est-ce qui se transmet, d’une génération de femmes à l’autre ? De quoi ce temps et ce silence sont-ils faits ?
J’imagine alors une série d’autoportraits, dans laquelle je passerais ses robes une à une, comme un rituel pour remonter le temps vers elle et vers mon enfance, où elle me laissait les porter pour me déguiser. J’ai hérité de ses traits, aujourd’hui je lui prête mon visage et m’approprie son identité tout en perdant la mienne dans l’intimité de ses vêtements. A mesure que la séance avance, je traverse le siècle passé et les étapes successives de sa vie. Je rejoue sa jeunesse, son mariage, la naissance de ses enfants, sa vie de femme…
… au politique
Chaque vêtement incarne une décennie du 20è siècle, et témoigne du mode de vie et des droits des femmes à l’époque. Née dans les année 20, ma grand-mère n’était pas militante, elle était juste une femme de son temps. En tant qu’artiste, femme et féministe, c’est à l’endroit de l’intime que je questionne le politique. Dans la peau d’une autre, je mets mon corps à l’épreuve, je me confronte aux limites de la norme, à la représentation culturelle et sociale des femmes à travers l’histoire récente. L’habit me comprime, le tissu risque de se déchirer, parfois il forme autour de moi une enveloppe trop grande. Le vêtement, carcan physique et symbolique, contraint le corps et échoue à s’ajuster à toutes les femmes qu’incarne à la fois.
Je porte ces robes pour la dernière fois, accompagnant le souvenir de ma grand-mère par le poids sensible laissé par ses vêtements sur mes épaules.